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Vie sociale, n° 8 / 2014

La légitimité en questions

Le débat sur la question de la légitimité de l’intervention sociale est vaste et récurrent. Les faits de maltraitance institutionnelle et leur médiatisation interrogent la nature des actions conduites, révélant un écart entre les intentions énoncées et l’activité constatée. Par ailleurs, l’action sociale se trouve mise à mal par le management social et les normes de gestion imposées visant une efficacité quantifiable. La légitimité de l’action sociale est ici analysée en référence à son histoire et à ses fondements conceptuels, mais aussi au regard des usagers, des institutions sociales, des bénévoles, des travailleurs sociaux.

 

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Introduction
Brigitte Bouquet, Marcel Jaeger

Approche historique et conceptuelle

La complexité de la légitimité
Brigitte Bouquet
[Résumé/Abstract]

La notion de légitimité est aujourd’hui utilisée à profusion, dans des domaines variés et avec des aspects différenciés. La réflexion sur la légitimité, qui s’est modifiée dans le temps, a emprunté des voies multiples, s’est complexifiée ; de plus, aujourd’hui il y a une crise de légitimité. Mais que cela signifie-t-il ? Pour pouvoir le comprendre, l’article rappelle au préalable le sens du concept de légitimité et son évolution, en précise les contours actuels dans la dimension politique et dans la dimension sociale (associations, institutions sociales, professionnels), et considère où en est la légitimité des usagers/citoyens. À travers eux, il s’agit de voir les enjeux de l’évolution complexe et des défis de la reconnaissance de la légitimité.

The complexity of “legitimacy” – The concept of “legitimacy” is used in profusion in a large number of areas. Thought about this subject has become more and more complex and today we are facing what has been called “a crisis of legitimacy”. In order to understand it, this article reminds us of the meaning of the concept, its evolution and its current applications in the field of politics and social action (ngos, social institutions and professions). The author discusses the legitimacy of service users and citizens. In relation to them, the author analyses what’s at stake in the complex evolution of legitimacy and what challenges are faced in gaining recognition for legitimacy.

Au nom de quoi ? Les revendications de légitimité, expressions de mutations sociales et politiques
Hélène Hatzfeld
[Résumé/Abstract]

Aujourd’hui, il est fréquemment question de légitimité dans la vie quotidienne et les revendications de légitimité fleurissent. Cette multiplication et cette diversification de la légitimité sont révélatrices des mutations sociales et politiques profondes que nous traversons et elles transforment les conditions d’exercice des droits dans la Cité. L’extension de la légitimité hors des champs institutionnels du pouvoir et des compétences, dans les actions et expressions de la vie quotidienne, prolonge, sur un nouveau mode, les transformations du rapport au politique qui ont particulièrement marqué les années 1970. Elle révèle la capacité à former des espaces publics d’expression, d’échange et de critique, dans les failles et les marges des lieux institués de la représentation et de la concertation.

Claims for legitimacy as expressions of social and political change – In the contemporary world, claims to be “legitimate” and questions about legitimacy in daily life are frequently heard. This extension and diversification of legitimacy is symptomatic of the profound social and political change that we are undergoing. It transforms the conditions of implementation of civil rights. Legitimacy has extended beyond the field of institutionalized power or of professional competencies to the actions and expression of daily life. This change prolongs and renews the transformations of individuals’ relation to politics that were so characteristic of the nineteen seventies. The capacity to create a public arena for expression, exchange and critical thought, in the interstices and margins of the institutions designated as places for representative politics and dialogue, is thus revealed.

Questionnement social et politique de la légitimité

De la loi 2002-2 aux États généraux du travail social (egts) : deux voies pour la (re)construction d'une légitimité
Marcel Jaeger
[Résumé/Abstract]

Les travailleurs sociaux sont de plus en plus souvent en difficulté dans leur relation au mandat qui leur est confié sans que celui-ci soit toujours très clair ou sans que les conditions soient réunies pour qu’ils le remplissent. Ils sont ainsi confrontés à une crise de légitimité pour laquelle deux voies de sortie sont envisagées : une redéfinition de leur cadre d’action par la loi et une formule en cours d’expérimentation, les États généraux du travail social, comme étape d’un processus de refondation.

From the 2002-2 legislation to the “États généraux” of social work : two ways forward to (re)construct legitimacy – Social workers are more and more often in difficulties as to their relation to mandates they detain while these are not always clear and the conditions of accomplishing them are not always fulfilled. They are confronted with a crisis of legitimacy. Two ways of overcoming this are envisaged : a redefinition of the legal framework, “États généraux” currently being tested as a process of refoundation.

État social, services publics, légitimité
Sacha Leduc
[Résumé/Abstract]

Les changements actuellement justifiés par la crise économique tirent leur origine dans l’évolution du système de légitimité du secteur public, qui se transforme dès la fin des années 1960 en France. Dans les contenus idéologiques et les éléments moteurs de ces transformations, on peut distinguer deux champs d’analyses : la légitimité de l’action de l’État et des services publics d’un côté, et la légitimité de l’organisation de l’État et des services publics de l’autre. Dans la construction de la légitimité du pouvoir étatique, derrière la rationalité abstraite de la loi se cachent souvent des catégories normatives et des idéologies faisant porter la responsabilité des situations difficiles sur les individus et non plus sur les structures.

The social state, public service and legitimacy – The origin of current changes, justified by the economic crisis, lies in the evolution of system of legitimacy that started to change at the end of the nineteen-sixties in France. The author distinguishes two fields of analysis of the ideological content and driving forces of these transformations : a) the legitimacy of the actions of state and public services and b) the legitimacy of their organization. The abstract rationality of the law, taken as a basis for construction of the legitimacy of state power, often hides normative categories and ideologies that put the responsibility for difficult situations on individuals rather than on structures.

Reconnaissance et légitimité. Analyse du sentiment de légitimité professionnelle à l'aune de la théorie de la reconnaissance
Haud Guéguen
[Résumé/Abstract]

En appréhendant la légitimité comme un vécu ou un sentiment moral, cet élargissement permet de prendre en considération des éléments qui, tout en étant centraux dans l’expérience concrète des individus, demeurent totalement occultés et incompréhensibles dans le cadre d’une approche purement formelle. Le sentiment de légitimité se situe dans son rapport avec la reconnaissance mutuelle dont il procède. Inversement, le sentiment d’illégitimité est à lire comme l’effet d’un déni de reconnaissance et ne peut être compris que si l’on fait droit à sa genèse intersubjective. Penser la légitimité comme un sentiment psychosocial suppose ainsi de l’articuler à la problématique de la reconnaissance.

Recognition and legitimacy – In seeing legitimacy as a personal experience or as a moral sentiment it becomes possible to take into account elements that would be totally ignored and incomprehensible in a purely formal approach, but which are nevertheless of central importance. The feeling of legitimacy proceeds from and is situated within its relationship to the mutual recognition from which it proceeds. On the other hand the feeling of illegitimacy must be understood as the result of a denial of recognition and cannot be comprehended unless one takes into account its inter-subjective genesis. Thinking about legitimacy as a psychosocial feeling requires that analysis be articulated with the question of recognition.

La légitimité des associations et des professionnels

Comment légitimer le travailleur social ? La réponse de Mary E. Richmond à Abraham Flexner
Lilian Gravière
[Résumé/Abstract]

L’enjeu de l’article est d’établir que l’œuvre de l’une des toutes premières théoriciennes du travail social, Mary E. Richmond, fut profondément travaillée par la volonté de légitimer le travailleur social comme professionnel. Face à la critique portée par Abraham Flexner s’établit une stratégie se comprenant au regard de ce qu’Andrew Abbott nomme système de professions, stratégie dont le développement et la promotion de la méthode du social case work se révèlent être les pièces maîtresses. Enfin, l’article s’interroge sur la pérennité historique de ce qui apparaît comme l’un des modèles professionnalistes propres au travail social développés au xxe siècle.

How can a social worker become legitimate? Mary Richmond’s reply to Abraham Flexner – This article aims to show that Mary E Richmond’s work was strongly motivated by her will to legitimate the social worker as a professional. In response to the criticism made by Abraham Flexner, she developed a comprehensive strategy (making reference to Andrew Abbott’s use of the notion of a system of professions). The development of the method of social case work is the central feature of this strategy. The author also questions whether this professionalizing model specific to social work in the 20th century is historically sustainable.

La construction des discours vocationnels comme support de légitimité dans le champ de l'intervention sociale
Ruggero Iori, Sandrine Nicourd
[Résumé/Abstract]

La construction des discours vocationnels, mettant en jeu des croyances, opère principalement par trois registres de socialisation : la trajectoire biographique, la formation et les organisations du travail. Ces trois registres s’entrecroisent et donnent source à différentes formes de justification et d’ancrage à ces discours. L’engagement est fort dans le métier lorsqu’il y a convergence dans les relais biographique, professionnel et organisationnel. Or, actuellement, il y aurait un signe de reconfiguration des ressorts des modes d’implication. Les différents discours vocationnels sont plus liés à des raisons biographiques ou à des personnalités marquantes. Les référentiels politiques, organisationnels ou sociaux apparaissent peu explicitement pour justifier l’action.

The construction of vocational discourse as a key to legitimacy in the field of social intervention – The construction of discourse about vocation relating to belief systems operates principally through three registers of socialization : biographical trajectory, training and work organizations. These three levels are intertwined and generate various forms of justification and of anchoring of vocational discourse. Commitment to the profession is strong when there is convergence between the biographical, professional and organizational relays. At the current time there are signs that the sources of modes of implication are in the process of being reconfigured. Many vocational discourses are now no longer linked to biography or to key personalities. Action is no longer justified in reference to political, organizational or social referentials.

L'accompagnement à la professionnalisation des bénévoles : pour quelle(s) légitimité(s) ?
Florence Tardif Bourgoin
[Résumé/Abstract]

Dans un contexte de professionnalisation associative (centres sociaux), le développement de la qualité et de l’évaluation vient renforcer une logique de compétences attendues du côté des bénévoles alors même que la dimension « formative » de leur engagement est inscrite historiquement dans un projet d’éducation populaire (au service d’une mutualisation des savoirs). L’organisation du rôle des bénévoles repose alors sur l’importation de méthodes « professionnelles » permettant de garantir le respect des règles de l’intervention sociale. Cela passe par des recrutements formalisés (compétences) et des temps de formation qui présentent des analogies avec les dispositifs classiques. Si la légitimité professionnelle repose sur la reconnaissance des activités de travail (formation et diplôme), sur quelle légitimité repose la formation des bénévoles ? Quelle place occupe-t-elle dans les logiques d’organisation, dans le déploiement des activités, dans les perspectives individuelles d’engagement ?

Supporting professionalization of voluntary workers: for what kind of legitimacy? – Quality development and assessment procedures bring a logic of competency expected of voluntary workers in the voluntary sector of social centers. This is so even though the “training” aspect of their commitment is historically linked to an ideal of open popular education based on a process of knowledge sharing. “Professional” methods are imported into the organization of voluntary workers’ roles in order to guarantee that the rules of social intervention are obeyed. Formal recruitment procedures and training schemes are organized that present analogies with professional systems. If professional legitimacy depends upon recognition of work activities (training and diplomas), what does voluntary legitimacy depend upon? What place does it occupy in the organizational logic, in its activities and in individuals perspectives on engagement?

Problème de légitimité et reconnaissance : la plainte des assistants de service social à l'hôpital psychiatrique aujourd'hui
Nacer Leshaf
[Résumé/Abstract]

Les réformes que connaît l’institution hospitalière depuis ces vingt dernières années ont provoqué des modifications dans les organisations du travail et bousculé la pratique des professionnels. À l’hôpital psychiatrique, les assistants sociaux vivent mal ces bouleversements. Leurs plaintes répétées font irruption à tout moment, aussi bien dans des espaces formels qu’informels. Ils expriment un sentiment d’impuissance à apporter des solutions adaptées aux patients et à satisfaire l’attente d’un corps médical également sous pression. Ce travail de recherche en deis s’est intéressé au sens « explicite et caché » de ces discours dans les organisations. Ils traduiraient à la fois un sentiment de disqualification, de déclassement, et s’inscriraient dans une stratégie de ces acteurs afin de préserver leur position dans l’organisation et sauvegarder la pratique de leur métier. Tout cela dans un contexte de changement organisationnel important.

Problems of legitimacy and recognition: complaints by social service professionals in psychiatric hospitals today – The reforms that have taken place in psychiatry over the past twenty years have brought about modifications in the organization of work and transformed professional practice. In psychiatric hospitals, social workers have not lived happily through these changes. Their complaints are often heard both in formal and informal settings. They express a feeling of powerlessness to carry out solutions adapted to patients and to respond to expectations by the medical teams who are equally under pressure. The research presented here studies the explicit and hidden elements of this discourse within organizations. It expresses a feeling of disqualification, of being classed down and is part of a strategy by these actors to preserve their position in the organization and to save their professional practice. This all takes place in a context of major organizational change.

Notice sur l'actualité

L'organisation des États généraux du travail social

Notes de lecture